« Mais sinon, pour Maya*, ça va mieux? », que j’ai demandé à l’amie de ma mère, Jacinthe, croisée au hasard de la vie.
« Non, pas vraiment. Maya est hospitalisée… », que m’a répondu Jacinthe en regardant par terre, essuyant discrètement une petite larme. Elle se retenait d’ailleurs fort d’en échapper plein d’autres pour éviter que ça vire en cascade et qu’elle finisse noyée dedans. Je la voyais se battre contre ses sentiments et j’avais juste envie de lui dire d’arrêter ça, la bataille contre l’eau du cœur. Lui dire d’ouvrir grandes les digues; que j’avais mes cours de secourisme à jour au pire.
Maya a 13 ans.
C’est une ado pleine de charme, pleine d’un sourire radieux. Qui a des amies, une famille aimante, probablement un chien et une toune préférée. Une ado tout ce qu’il y a de plus ordinaire, à part que Maya a son cerveau qui lui joue des tours sur la perception de son corps, ce qui a comme conséquence que Maya a ben de la misère avec ça, son corps.
Maya souffre d’anorexie.
Ce qui apparaissait au départ comme une petite lubie de perte de poids (eh les ados hein? Haha!) s’est transformé en trouble sérieux duquel on a perdu le contrôle complètement.
Le refus de s’alimenter depuis un moment tout en usant de toutes sortes de tortures sur son organisme — « maigre et décharnée; charpente d’os veuve de chair; avoir le moins de corps possible », disait Denise Boucher dans Les fées ont soif — l’a menée à l’hôpital dans laquelle une équipe essaie de la rétablir. Physiquement, mais surtout mentalement.
La guérison est longue et ardue. C’est une très grosse montagne mentale à gravir que celle de passer go sur l’anorexie et de s’en libérer complètement.
Jacinthe ne parle jamais des troubles du comportement alimentaire de sa petite-fille; petite-fille qu’elle aime plus que sa propre vie. C’est un grand secret « honteux ». Un secret qu’elle garde pour elle la plupart du temps.
J’ai beaucoup flatté le dos de Jacinthe cette journée-là. Elle ne savait pas que je savais. Mais je l’ai sentie se libérer d’un grand poids quand j’ai osé aborder avec elle la question.
J’ai bien senti son impuissance face à la maladie de Maya. Ses questionnements. « Kessé ça, c’te maladie bizarre-là qui met des idées de fou dans la tête de ma belle Amour? » J’ai écouté, avec le plus d’empathie possible. J’ai essayé de rassurer, mais surtout de la libérer de ce silence qui lui pesait aussi lourd qu’un 10 roues sur la poitrine.
On a beaucoup échangé.
Ses yeux étaient remplis d’une telle tristesse. D’un découragement faramineux.
L’anorexie est une maladie tellement sournoise.
La personne aux prises avec un tel trouble vit une très grande détresse, j’apprends rien à personne.
Mais pour l’entourage, c’est tout aussi ravageur. L’inquiétude constante, le non-sens de tout ça, l’impuissance, aussi. « Elle a juste à manger pis ça va arrêter me semble? Elle est même pas grosse en plus! Je comprends rien… je sais pas comment l’aider… »
Si vous ou quelqu’un de votre entourage êtes aux prises avec ce genre de situation concernant une personne chère, de grâce, restez pas seul-e avec vos nœuds dans le cœur.
Et dites-vous que ce n’est PAS un trouble honteux. C’est juste un trouble. (Un trouble honteux serait celui de ne pas aimer les chats, par exemple. ÇA, ce serait honteux.)
Arrimage propose un guide pour l’entourage des personnes aux prises avec un trouble du comportement alimentaire. C’est absolument gratuit sur le site Web de l’organisme : même pas besoin d’être membre pour le consulter. C’est fait avec plein de bienveillance par des personnes professionnelles qui dealent tous les jours avec une clientèle vivant cette douloureuse réalité. Jetez-y un œil : des pistes de solutions et de réconfort sont à portée de clic.
Faut pas rester tout seul avec des mots pris au travers de la gorge; ça fait juste suffoquer ben raide, ce qui n’aidera pas pantoute votre personne chère à se rétablir. Ce serait contre-productif en maudit.
Parlez. Écrivez. Échangez. Partagez.
Comprenez que vous n’êtes pas seul-e-s.
Je n’ai évidemment pas réussi à guérir Maya cette journée-là, mais j’ai senti quand même que j’avais fait une différence dans la vie de Jacinthe juste en lui prêtant l’oreille pour qu’elle libère sa parole.
Et ça, c’est un peu une sorte de petite guérison collatérale.
Amour xx
* Les noms ont été changés aux fins d’anonymat. Parce que même si l’anorexie n’est pas un trouble honteux, les personnes concernées dans ce partage n’avaient aucune idée qu’elles feraient l’objet d’un sujet de réflexion sur ce blogue.
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