J’ai pas tant de miroirs plain-pied à la maison.
J’ai bien celui de ma chambre, mais il est de type menteur et il m’enlève quelques pouces de largeur. Qui plus est, avec l’espace que j’ai, m’y voir réellement de plain-pied est pure lubie. Il me manque souvent une moitié de corps dans le reflet. Je m’enfarge toujours dans le bureau ou la bibliothèque ou le lit, qui eux, prennent 99 % de l’espace et ne me permettent aucun réel recul pour m’admirer pleinement.
Soit. Je vis avec. Tant que je n’ai pas trop l’air du criss dans mes agencements de couleurs, je suis capable de me figurer de quoi j’ai l’air. En plus, quand j’arrive à la job, ma collègue Vicky émet souvent des « WOW! C’est donc ben beau ce que tu portes! », ce qui fait que tsé, toute va ben.
Avant la pandémie, j’allais chez Addition-Elle (une boutique de fringues taille plus) AU MOINS une fois par deux semaines. J’aime toucher les tissus, regarder les coupes. Flâner dans les aubaines. M’enfermer dans une cabine et essayer 73 soutiens-gorges sans en acheter un maudit, essayer des affaires par lesquelles je ne suis pas d’emblée attirée et qui peuvent se révéler être de belles surprises sur ma shape.
La pandémie a fermé le Addition-Elle (devenu Penningtons) de ma région. Celui qui était vraiment mon repère, ma thérapie, mon activité de prédilection (oui bonjour j’ai un problème de consommation de guenilles).
Je ne vais donc plus vraiment magasiner pour de vrai. Maintenant, tous mes achats se font en ligne, principalement chez Torrid qui, même s’il a quelques boutiques au pays, me fait quand même payer en US en plus du shipping. Mais Torrid a toutefois l’avantage d’offrir une vraiment belle collection chaque saison, et ce, pour plusieurs styles. Voilà pour la pub gratis. Voilà aussi pour où je prends mes chandails de Maiden et de Velvet Underground autant que mes vestons de madame sérieuse qui signe des chèques.
Je ne touche donc plus les matières. Moi, la taponneuse de tissus.
Je reçois maintenant mes achats chez moi.
Et quand ça ne fait pas ou que le tissu me gosse, ben comme je suis lâche que le maudit, ça se ramasse juste au fond de mon garde-robe et dans un sac à donner (à Vicky) au bout de deux ans quand je décide de me tanner.
Dernièrement, je suis allée flâner au Reitmans qui offre quand même une belle sélection de tailles inclusives, même si le 3X, sa plus grande taille, n’est clairement pas réellement une offre adaptée à tous les corps.
J’ai touché beaucoup de belles matières. J’ai choisi des morceaux qui me plaisaient et j’ai poussé l’audace jusqu’à aller essayer le tout. Un trip jadis naguère ben l’fun pour moi.
Sauf que presque quatre ans s’étaient écoulés depuis ma dernière séance en cabine.
Alors, comment dire?
Ayayaye.
Disons que j’en suis ressortie avec un urgent besoin de m’encabaner chez nous pour l’éternité.
Les années de dépression (par extension d’antidépresseurs qui m’ont fait prendre du poids à la loto des effets secondaires), d’alcool, d’abus, de gâteries alimentaires (j’pas débile : je sais pertinemment comment me faire du fun avec de la bouffe réconfortante, grasse et salée) ont évidemment transformé mon corps depuis la dernière fois que je m’étais vue pour vrai. Même si je vais nager souvent et que la plupart du temps, je m’arrange pour manger principalement des affaires qui poussent, force est d’admettre que mes habitudes ont façonné mon corps pour que ça donne ce que je suis aujourd’hui.
Quand j’allais magasiner aux deux semaines et que je me frayais un chemin vers les cabines, j’avais accès à un visuel de ma shape de façon régulière. J’étais en mesure d’assimiler doucement les données que me renvoyait le miroir. Là, plusieurs années (et pas les plus sympas) m’étaient passées dessus sans que je voie réellement leurs résultats sur mon corps. Bien sûr que je savais bien que je commandais des tailles plus grandes que ce que je commandais avant, mais je n’avais pas réellement accès au visuel de mon « avoir l’air » dans le miroir.
Le constat m’est rentré dedans.
Je te cacherai pas que l’expérience a été pénible.
Et que ça m’a pris un bon trois semaines avant d’être game de penser en revenir.
Mais en même temps, mon corps est le seul que j’ai.
Je peux, bien entendu, « l’améliorer » s’il ne me plaît pas.
Mais en attendant, je peux aussi faire preuve d’empathie envers lui et réaliser que je ne suis pas qu’un corps. Je suis aussi une personne entière, une amoureuse de la vie, une amie dévouée, une mère attentive et aimante, une fille choyée et entourée, une artiste, un clown qui fait rire le balcon, une fille intelligente avec une belle culture générale et une répartie pas mal le fun.
Je suis un tout.
Mon corps ne me définit pas uniquement.
Il fait partie de moi, comme je fais partie de lui (yo la philo), mais ce n’est pas le bout de moi.
Je suis mille choses, dans un corps.
Est-ce que j’aurais aimé être un autre corps? Probablement.
Mais pourquoi? Sinon pour entrer dans le beau linge du Simons? Sinon pour être game d’aller sur Tinder sans me ramasser des insultes grossophobes?
Quand on y pense, c’est débile.
Mon corps remplit tous les rôles qu’il est censé jouer. Je me trouve d’ailleurs extrêmement chanceuse de t’ça : c’est pas donné à tout le monde d’avoir un corps qui remplit toutes ses fonctions de corps.
Qu’il m’apparaisse « moins attirant », « moins beau » ou qu’il apparaisse de même aux yeux des autres : au final, qu’est-ce que ça peut faire si ma santé est numéro un? Et même si elle ne l’était pas? Est-ce que je peux juste vivre, mettons? En me sacrant de ce que mes yeux et de ce que ceux des autres voient de mon corps?
La vie est courte.
Je pense que maintenant, mon corps, je veux juste qu’il vive les beautés de la vie.
Pas nécessairement qu’il vive les beautés de son lui-même.
Ces beautés de son lui-même, qui, de toute façon, ont atteint un paroxysme absolu à 18 ans pour tranquillement, comme pour tout le monde, se transformer avec les années qui passent.
Ces années magnifiques d’expériences qui ont traversé chaque sillon de ma chair pour faire ressortir d’autres sortes de beautés.
Des beautés qui, elles, n’ont rien à voir avec le physique.
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