J’ai eu mes premières menstruations lorsque je venais tout juste d’avoir 9 ans. Mon corps était prêt à enfanter tandis que je jouais encore aux Barbies et que j’écoutais Passe-Partout en cachette. Y’a comme un p’tit clash là. Le décalage entre l’image de ce corps de femme qui s’était formé prématurément (ou plutôt déformé… de ce que j’en percevais à cet âge), et l’immaturité mentale que je possédais était perturbant pour la petite fille que j’étais.
Moi, qui étais déjà hyper timide, je voulais me fondre dans les murs. Je tâchais de dissimuler mes seins et la courbe de mes hanches dans des t-shirts trop grands, sous une chemise à carreaux bleue portée ouverte. C’était la combinaison de vêtements qui cachait le mieux ce que j’assumais le moins.
J’avançais le dos courbé. Ma posture aspirait à réduire le volume de ces proéminences de même que les regards sur celles-ci. J’avais mal dans le dos. Je trouvais ma poitrine lourde. L’impression d’être la seule dans cette situation m’incitait à l’isolement.
Ah! Les fameux cours d’éducation physique. Que je haïssais me changer dans le vestiaire! J’inventais à chaque cours un moyen plus efficace pour m’effacer dans la tapisserie. Rapidité et dissimulation étaient mes alliées. Du coin de l’œil, j’étudiais les autres filles. Est-ce que j’étais la seule à être si mal à l’aise dans ce corps devenu adulte trop jeune? J’enviais les filles menues, plates de poitrine. Enfin sorties du vestiaire, c’était l’heure d’enfiler nos dossards. Les maudits dossards. J’espérais réussir à jouer du coude pour me ruer vers la boîte de ces gilets défraîchis et trop petits afin de tenter de mettre la main sur les rares grandeurs larges. Je finissais immanquablement avec un dossard trop petit. Je prenais ce qui restait. J’avalais la pilule, pis j’endurais. J’endurais ce dossard qui moulait mes seins. J’essayais de l’étirer du mieux que je pouvais à l’abri du regard du professeur. Histoire d’aggraver mon état, je portais une brassière qui ne me supportait pas. J’évitais à tout prix de courir ou de sauter. C’était gênant. Que c’était gênant.
Ça me chamboule de revoir des photos de moi à 9 ou 10 ans. Je vois une fillette mal dans sa peau. Une gamine à l’estime fragile qui cherche à être invisible dans la cour de récré. J’aimerais être capable de lui dire que ça va passer. Qu’elle devrait se foutre du regard des autres. Qu’elle a le droit de répliquer aux commentaires désobligeants. Qu’elle n’a pas à forger son estime à travers les yeux des autres. J’aimerais lui inculquer le respect et l’amour de son corps qui mute vers celui d’une jeune femme. Dans le fond, c’est le cours normal de la vie. Pis ses voisines de vestiaires dans le cours de gym ne sont peut-être pas aussi à l’aise dans leur corps qu’elles ne le laissent paraître.
Aujourd’hui, mon ancien complexe n’est plus ce qu’il était. Des fois, mes seins me gossent encore. Je les trouve gros, encombrants, mous, tombants. Ça me tire parfois dans le dos. Dans mes mauvaises journées, je reproduis une posture rappelant celle que j’affichais jadis. Ce n’est pas parfait, mais j’ai fait la paix.
Je me demande parfois si l’anorexie (maintenant rétablie, ouf, merci!) n’est pas parvenue à s’immiscer dans ma vie à cause entre autres d’un désir inconscient de me réapproprier mon corps d’enfant et de soustraire ces courbes qui me rebutaient. J’imagine que de se poser la question, c’est déjà d’y répondre.
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