J’étais en train de vermillonner tes cheveux.
Je t’avais demandé au préalable de brasser le mélange de teinture pendant que je lisais ben comme faut les instructions pour ne pas manquer ma shot sur ta belle chevelure fournie d’adolescente de 12 ans. Des teintures, j’en avais données toute ma vie à tout le monde, à moi y compris, mais sur ta tête, même si je savais par cœur la marche à suivre, on dirait que je voulais vraiment pas manquer mon coup. Parce que cette teinture rouge là, tu m’en parlais depuis déjà 3 mois. Je savais qu’elle te tenait à cœur et ça aurait été ben bête que je te scrape la tête.
En brassant le mélange, tu t’es rendu compte que le petit bouchon n’avait pas été mis et la teinture avait revolé partout sur la table, le plancher, notre linge. On avait l’air de deux bouchères en pleine grosse job à l’abattoir avec ce beau rouge sang partout. On avait bien rigolé en ramassant le gâchis le plus rapidement possible pour ne pas tacher toute autre mesure.
Pendant que j’étais en train de séparer ta chevelure en 58 parties (tu as VRAIMENT les cheveux épais; c’est comme un rêve de capillarité pour les trippeux de tresses), tu me racontais ta vie d’adolescente. Je me sentais super coiffeuse d’avoir commencé ça par du small talk pour que ça se transforme en vrai beau papotage de connivence.
Et de base, tu parles vraiment pas fort, mais cette fois-là, tu parlais encore plus bas. Comme si tu te sentais gênée de me parler de toi. De ce qui t’inspire, de ce qui t’énerve. Tu t’ouvrais très très doucement et j’essayais d’attraper chaque bribe de tes phrases pour ne rien manquer de ta vie. J’y attrapais aussi tes silences, si parlants en même temps. Je me sentais privilégiée de vivre cette proximité-là avec toi. Après tout, je suis une madame. Peut-être que parler à une madame quand t’as 12 ans, c’est jamais le trip d’une vie non plus, même si la madame a un chandail des Ramones pis des Doc Martens dins pieds.
Tu m’as dit des choses.
Mais l’une d’elle est ressortie du lot.
Tu m’as dit être absolument réticente à aller à la piscine avec ta classe.
Pas parce que tu ne savais pas nager.
Pas parce que tu avais peur de l’eau : parce que tu ne voulais pas jeter ton petit corps en pâture. Ton corps, tu ne voulais pas qu’il soit vu par les autres.
Et ça m’a réellement fendu le cœur parce que ton corps est absolument normal. Bien que pour moi, tous les corps soient absolument normaux, disons que le tien entre pile-poil dans la catégorie des corps jugés « normaux » par la société pour une jeune fille qui s’apprête à entrer au secondaire. Le genre de corps que plusieurs jeunes filles, moi y compris à cet âge-là, auraient voulu avoir. Pour bouger librement, courir, sauter, nager, danser, se péter la margoulette en patins, faire la grande roue sans s’empêtrer dans un ventre, des seins, des cuisses, des affaires de même.
Mais pour toi, ton corps n’est pas « montrable » en maillot de bain. Tu en as un peu honte. Tu vis de la gêne par rapport à lui. Même que ces temps-ci, je te vois moins manger, commencer à évaluer un peu maladivement ce qui se trouve dans ton assiette, sauter des repas même.
Et je me demande où est-ce qu’on l’a échappé collectivement pour que des jeunes filles aux corps qui fittent parfaitement dans « les standards » deviennent mal avec elles-mêmes dès la fin du primaire au lieu de juste s’en sacrer et de vivre leur journée à la piscine en riant avec leurs chums. DANS MON TEMPS, c’était surtout le lot des boulottes (allô), de celles qui avaient peut-être la poitrine qui commençait à dire coucou (allô), des autres aux corps un brin différents de leurs semblables, mais rarement de celles qui toute leur enfance avaient eu le corps correspondant aux standards.
Maintenant je me rends compte que ça affecte tout le monde ces histoires de complexes là, et ce, dès un jeune âge. Et vraiment, je trouve ça d’une tristesse.
Je t’ai dit que tous les corps étaient différents et absolument valides. De faire fi des autres et de juste avoir du plaisir dans la vie. Tu m’as regardée en sous-entendant que des gars de douze ans, ben c’était des gars de douze ans. Que peut-être qu’eux, l’acceptation corporelle, c’était de la bien belle marde; que n’importe quels prétextes au monde pouvaient être matière à moquerie et que ton mental n’était peut-être pas aussi fort que le mien de 45 ans.
Peut-être que c’est moi aussi qui ai juste sous-entendu ce que ton regard voulait dire.
Ma belle, je l’avoue, je n’ai su quoi rajouter au sous-entendu que j’ai peut-être inventé dans ton regard sinon que tu étais magnifique et que personne ne devait t’empêcher de vivre des expériences de rigolades, des journées de bougeage le fun créées justement pour que tu en aies, du fun.
Je pense que l’acceptation corporelle prend du temps. Que parfois, on a pas assez d’une vie au complet pour réaliser qu’on s’en fait beaucoup trop avec notre bodé. Qu’on est passé à côté de tellement de beaux moments par peur de se dévoiler.
Je n’ai pas la solution sinon qu’il faudra marteler souvent et sans relâche que tous les corps sont valides pour que ça finisse par entrer dans toutes les têtes.
Pour qu’enfin, tout ne soit plus matière à moqueries envers les corps.
Que collectivement, on ferme notre yeule là-dessus dès qu’on est en âge de pouvoir fermer sa yeule là-dessus.
Qu’on passe à autre chose comme société.
Qu’on évolue une bonne fois pour toutes là-dessus.
Parce que mon souhait le plus cher (après la paix dans le monde et le retour de l’empathie), c’est que tout le monde puisse profiter de l’eau sur son corps sans avoir peur des répercussions de le montrer, autant les fillettes de 12 ans que les garçons de 27, que les personnes en situation de handicap, que les personnes trans, que les femmes d’âge mûr, que les (…)
Etc., etc.
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